Lors de cours de méditation, certains pratiquants me font régulièrement part de leur frustration, voire énervement pour faire le silence, le vide intérieur, qu’ils n’arrivent pas à réaliser malgré les conditions favorables d’une salle bien calme. Un moindre bruit surgit, un craquement de plancher, une parole dans une pièce adjacente, une respiration plus soutenue d’un participant vient distraire, interrompre ou déranger leur méditation.
Tout d’abord, dans l’expérience humaine et son environnement naturel, le silence absolu n’existe pas. Donc chercher à le percevoir est une tentative vouée dès le départ à une non réalisation et donc à l’impression d’un échec. Du point de vue de l’expérience humaine, le silence absolu peut seulement se trouver dans la mort ou l’espace, lieu de non vie organique. Ainsi, le silence absolu équivaut à la non vie.
Pour illustrer ce point, prenons l’exemple d’une personne qui habite en ville dans un quartier animé près d’une rue principale. Les bruits du trafic sont constants et la personne les perçoit. Pour revenir au calme dans un lieu plus silencieux, cette personne déménage à la campagne. Là c’est le silence, mais seulement pour un certain temps. Car ce silence est relatif. Les oiseaux chantent, le vent souffle dans les arbres. Et au bout d’un certain temps, cette personne va les percevoir autant, même si bien sûr, l’expérience lui parait plus agréable. En tout cas, au niveau du silence, il y a toujours une certaine production de sons.
Où que nous allions, où que nous soyons, il y a production de sons, même infimes. C’est l’un des signes de la vie ! Et même si une personne fait l’expérience d’une salle acoustique totalement insonorisée, avec l’impression que tout son est happé, aspiré, dans son expérience intérieure, elle continue d’entendre clairement ses pensées, son dialogue intérieur, même son air de musique préféré. Ainsi, le silence n’existe pas en tant que tel dans l’univers humain et son environnement naturel.
Cependant, il est tout à fait possible de faire l’expérience du silence.
L’expérience du silence
Lorsque nous nous sentons joyeux et animé d’enthousiasme, nous pouvons ressentir une certaine légèreté, facilité à faire telle ou telle chose. De même, l’expérience du silence peut être ressentie, vécue, quel que soit le type d’environnement sonore.
Cela requiert une certaine pratique de présence et d’accueil de ce qui est, avec tout d’abord la compréhension fondamentale que le silence total, absolu, n’existe pas. Les sons, les bruits représentent une forme de silence avec une certaine intensité audible. Car les sons, les bruits émergent du silence. Il s’agit avant tout d’une expérience ressentie des sons, car comment pourrions-nous entendre clairement nos pensées, notre dialogue intérieur ? En effet, dans notre boite crânienne, il n’y a aucune source sonore, aucun micro, aucune baffle. Même si parfois nous avons l’impression que le volume de notre voix intérieure est très fort, voire insoutenable.
Par exemples, lors d’une marche en forêt ou dans un lieu urbain, n’avez-vous jamais remarqué que vous entendiez aussi bien le vent dans les arbres ou les bruits de la rue autant que votre pensée ? Pourtant il n’y a aucune source sonore intérieure. Dans notre cerveau, il n’y a que liquide, synapses, neurones et flux électrochimiques. Pourtant vous percevez clairement votre voix intérieure, soit votre pensée. Notre pensée est une forme de flux, tout aussi présent et perçu de manière extérieure, dans notre environnement de vie. Notre attention est simplement habituée, conditionnée d’être focalisée sur l’un de ses flux ; notre pensée, un bruit de voiture, une affiche publicitaire aux couleurs vives…
Il n’y a de silence sans bruit et pas de bruit sans silence. Sur un plan fondamental, il s’agit en fait de variations d’intensité. En effet, un chien perçoit les fréquences ultrasons, ce qui pour l’être humain est assimilé au silence dans son spectre de perception sensorielle.
Pour conclure, par le développement de notre attention élargie, d’un état de présence et d’accueil de ce qui se produit en soi et autour de soi, il est tout à fait possible de percevoir et ressentir l’expérience du silence. C’est de cette réalisation, de ce constat, que l’expression, la notion de « silence » s’est diffusée à travers les enseignements de plusieurs approches d’éveil et de philosophies de vie.